Massacre négrophobe de Buffalo : chronique d’une tragédie annoncée

« Lorsqu’une maison prend feu et qu’une personne, alertée par les flammes, accourt en criant « au feu ! », le propriétaire de la maison, ainsi réveillé par les cris , commet parfois l’erreur d’accuser la personne  ayant lancé l’alerte d’avoir mis le feu, alors même qu’il devrait lui exprimer sa gratitude ».[1]

Malcolm X

Anéantir les « Remplaçants »

Le 15 mai 2022, Payton Gendron, jeune américain blanc de 18 ans, ouvrait le feu dans un supermarché de Buffalo (Etat de New York), aux Etats-Unis, tuant dix personnes, dont six femmes et quatre hommes âgés de 32 à 86 ans.

Le point commun des victimes ? Leur couleur de peau : en effet, toutes les personnes assassinées sont des Afro-Américains.

Leur crime ? « Tous les Noirs sont des Remplaçants, ne serait-ce que par leur simple existence dans des pays de Blancs. […] Chaque envahisseur que vous tuez, quel que soit son âge, est un ennemi en moins pour vos enfants ».[2]

C’est en ces termes que l’auteur de l’attaque négrophobe et terroriste de Buffalo justifie son geste dans un « manifeste » où il se présente comme « simplement un homme blanc qui cherche à protéger et servir ma communauté, mon peuple, ma culture et ma race ».

A l’image de Brenton Tarrant, le terroriste suprémaciste qui avait tué 51 morts et blessé 49 personnes en mars 2019, lors d’un attentat islamophobe visant deux mosquées à Christchurch (Nouvelle-Zélande), Payton Gendron est un adepte de la théorie du « Grand Remplacement ».

En vertu de cette théorie fumeuse, raciste et criminelle, popularisée notamment par l’écrivain français Renaud Camus et désormais relayée par des médias et des politiques de premier plan, les populations blanches des pays occidentaux seraient menacées de  « substitution » par des hordes d’envahisseurs basanés, dont l’augmentation démographique conduirait à un « changement de civilisation ».

Le suprémacisme occidental : un danger mortel pour les populations non blanches

L’assassinat programmé de dix Afro-américains désarmés par le terroriste Payton Grendon est la manifestation la plus vulgaire, la plus hideuse, la plus brutale et la plus cruellement sauvage d’une idéologie de plus en plus « décomplexée » et particulièrement mortifère pour les populations non-blanches : le suprémacisme occidental.

Le suprémacisme occidental est un fanatisme plus ou moins assumé. Il se décline en plusieurs versions ayant pour fil conducteur l’infériorisation et l’exclusion des populations non blanches du cercle fermé des « vrais » humains. 

Le suprémacisme occidental s’appuie sur un corpus idéologique combinant des vieilles et des nouvelles recettes. Les discours sur la pureté de la race blanche (dont le terroriste Payton Gendron nous a fourni une tragique caricature) coexistent avec d’autres discours, à peine plus sophistiqués, sur l’infériorité et l’ « arriération » des cultures des populations non blanches.

Ne pouvant plus justifier son règne par la seule domination militaire (à laquelle il n’a pas tout à fait renoncé), le suprémacisme occidental cherche à se maintenir en imposant une pyramide des normes universelles au sommet de laquelle figurent les « valeurs occidentales ».

Le lendemain de la tuerie négrophobe de Buffalo, Macarena Olona, députée espagnole membre du parti d’extrême droite Voz et candidate à la présidence de la région Andalousie, publiait sur son compte Twitter le message suivant : « Si tu importes de l’insécurité, tu auras de l’insécurité. Et cela n’a rien à voir avec la race. Le facteur déterminant, c’est l’origine. Parce qu’il y a des cultures qui sont une menace pour les femmes et les personnes homosexuelles. Dans mon pays, mes règles. Nos valeurs occidentales ». 

Du point de vue des apôtres du suprémacisme occidental, les populations non blanches ne sont pas des victimes mais des bourreaux ; les bourreaux des femmes (blanches et non blanches) et des homosexuels (blancs et non blancs) que l’Occident aurait ainsi le pouvoir et le devoir de « sauver ».

Le suprémacisme occidental est également un fanatisme de type révisionniste. Pour galvaniser ses adeptes, il lui faut réinventer l’histoire et, très souvent, raconter des histoires.

Ainsi, en réponse au pape François qui, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de l’indépendance du Mexique, en septembre 2021, appelait à reconnaître les « erreurs » et les «péchés » commis par l’Église Catholique lors de la conquête du Mexique,  Isabel Díaz Ayuso,  présidente  de la communauté de Madrid, s’ « étonnait » qu’un «catholique  qui parle espagnol » puisse se livrer à de telles excuses, alors même que l’héritage de l’Espagne a été, selon elle, « précisément d’avoir apporté la langue espagnole, et à travers les missions, le catholicisme et, ce faisant, la civilisation et la liberté au continent américain ». 

Oubliés la réduction à l’esclavage de millions d’êtres humains.

Oubliés les massacres et l’extermination des populations autochtones par les colonisateurs.

Dans la marche des peuples « barbares » vers la « civilisation », le « Grand Remplacement » des populations amérindiennes par des envahisseurs européens n’est qu’un « dommage collatéral » ; un mal nécessaire pour diffuser la liberté et la religion chrétienne…

L’unité dans l’autonomie, un impératif vital pour les « Grands Remplaçants »

Pour les populations non blanches, le suprémacisme occidental n’est ni un simple vestige du passé, ni le fruit d’une quelconque spéculation intellectuelle. Il se traduit concrètement et directement dans nos vies :

  • A travers des passages à l’acte de criminels suprémacistes qui, à l’instar de Payton Gendron, ont été drogués à la théorie du « Grand Remplacement »
  • A travers des crimes policiers qui touchent massivement les populations racisées
  • A travers des législations d’exception visant spécifiquement les populations non blanches

Depuis sa création, le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) n’a cessé d’insister sur la spécificité du racisme que subissent les populations non blanches. Pour cette raison, le FUIQP s’est attaché à promouvoir la construction d’un mouvement autonome de lutte contre le racisme visant les populations non blanches et, dans le contexte français, les personnes issues de la colonisation.

 Pour avoir adopté une telle position, le FUIQP s’est vu reprocher, y compris par des organisations  « progressistes » se réclamant de l’universalité de la lutte contre le racisme, d’alimenter des divisions dans le camp antiraciste.

Cette attitude ne doit cependant pas nous surprendre. Elle correspond parfaitement à un phénomène que Malcolm X avait parfaitement su décrire dans un célèbre discours prononcé en 1964 : « Lorsqu’une maison prend feu et qu’une personne, alertée par les flammes, accourt en criant « au feu ! », le propriétaire de la maison, ainsi réveillé par les cris, commet parfois l’erreur d’accuser la personne ayant lancé l’alerte d’avoir mis le feu, alors même qu’il devrait lui exprimer sa gratitude ».

Parce que le suprémacisme occidental nous affecte, nous les populations non-blanches, de manière spécifique, la réponse que nous devons lui apporter doit s’appuyer sur nos réalités, en utilisant nos mots, en imposant nos priorités.

Le combat du FUIQP s’inscrit ainsi dans la droite lignée des combats menés par plusieurs générations de militant-e-s Afro-américain-e-s qui nous ont toujours inspirés et auxquels nous souhaitons rendre un vibrant hommage.

Dans Black Power, livre publié en 1967, Charles Hamilton et Stokely Carmichael (qui deviendra Kwame Touré) dressaient, a propos du combat des Afro-Américains contre le racisme, le constat suivant : « les Noirs en Amérique n’ont pas le temps de jouer aux gentils, de parler poliment, surtout dans un contexte où c’est la vie de leurs enfants qui est en jeu. (…) Nous, les Noirs, devrons répondre à notre façon, avec nos propres mots, d’une manière qui corresponde à notre tempérament ».

Cinq décennies plus tard, ce constat est toujours d’actualité.

Dans Black Power, Carmichaelet Hamilton insistaient également sur le coût de l’autonomie dans la lutte contre le racisme :

 « Celles et ceux qui assument la responsabilité de représenter les Noirs dans ce pays doivent accepter de renoncer à l’idée qu’ils peuvent le faire de manière efficace tout en maintenant un niveau maximal de confort. (…) Lorsqu’ on décide d’affronter vigoureusement le système raciste, on ne peut pas, en même temps, s’attendre à ce que ce système nous récompense ou même nous traite de manière confortable. Le leadership politique qui consiste à pacifier et adoucir sa voix sous prétexte de « gagner quelque chose pour les siens » revient à obtenir quelques pseudo-gains insignifiants qu’une société riche est parfaitement disposée à octroyer. »

Le FUIQP adresse ses sincères condoléances aux familles de nos frères et sœurs Afro-américain-e-s lâchement assassinés à Buffalo par le terroriste suprémaciste Payton Grendon.

Ce crime nous rappelle que les discours présentant les populations non blanches comme des « envahisseurs » ou des « Grands Remplaçants » menacent directement nos vies.

Dans ce contexte, il est plus que jamais urgent de s’unir pour survivre, s’unir pour ne pas subir.

Déclaration du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP)


[1] Malcolm X, « The Black Revolution », 1964. (Notre traduction) 

[2] Notre traduction