Les années qui viennent : soumission ou résistance ?

Le choix de dimanche dernier a été étrange et difficile pour de nombreux citoyens et encore plus pour les héritiers de l’immigration et les habitants des quartiers populaires. Choisir entre un ultralibéral autoritaire accompagnant sa destruction des conquis sociaux et des services publics par des débats écrans et des lois islamophobes d’une part et une candidate partisane d’un libéralisme racialisé ayant en son centre la « préférence nationale » et l’islamophobie d’autre part, est une expérience particulière. Dès les résultats du premier tour, le ton était à la colère devant un choix contraint, résultat d’une stratégie de longue date de la classe dominante visant à imposer ce choix binaire. La colère et la déception ont été d’autant plus forte que le vote Mélenchon avait pour la première fois depuis longtemps suscité de l’espoir social et politique dans les quartiers populaires. Si le programme de Mélenchon a contribué à mobiliser l’électorat de ces quartiers, c’est surtout le sentiment d’un discours en rupture avec le climat islamophobe largement banalisé de l’opposition de droite au parti socialiste en passant par la majorité présidentielle, qui a suscité l’espoir.

Quelque soit le choix fait dimanche dernier [de l’abstention pour ne pas choisir entre deux maux, au vote Macron pour faire barrage à Le Pen en passant par une minorité de vote Le Pen pour « foutre le bordel »], les électeurs héritiers de l’immigration et habitant les quartiers populaires, s’attendent désormais à cinq nouvelles années d’épreuves et d’attaques. En témoigne les résultats du second tour qui souligne que le second mandat de Macron s’enclenche sur la base d’une crise de légitimité inédite. En effet avec une abstention de 28,01 % et un vote blanc ou nul de 8.6 %, il faut remonter à un demi-siècle en arrière, en 1969, pour retrouver un tel pic d’abstention et de vote blancs. Les scores des deux candidats n’indiquent pas leur représentativité. Pour approcher celle-ci il convient de prendre en compte cette abstention et ce vote blanc c’est-à-dire de rapporter les scores au nombre d’inscrits. Macron est ainsi élu avec 38,5 % des inscrits alors que Marine Le Pen recueille les voix de 27,3 % des inscrits. De surcroît pour les deux candidats la moitié des suffrages portés sur leur nom n’était pas un vote d’adhésion mais un vote de barrage à l’autre candidat. Les uns ont voté Le Pen pour virer Macron et les autres Macron pour faire barrage à Le Pen. Le décalage entre la représentation politique et la société réelle est, aujourd’hui, une caractéristique incontestable de la société française. Si la réalité n’est pas nouvelle la tendance à la hausse du décalage est également indéniable : 16 % d’abstention en 2007, 19,6 % en 2012, 25,4 % en 2017 et 28,1 % en 2022. Une première conséquence de ce contexte à la sortie des urnes est qu’il ne reste au nouveau Macron qu’un seul chemin pour imposer ses réformes libérales impopulaires : passer en force et réprimer encore davantage les contestations sociales prévisibles.

Ces cinq années de galères sociales seront également logiquement une période d’éruptions islamophobes. Le résultat de Marine Le Pen au premier tour est en effet une non-surprise c’est-à-dire un résultat attendu. La montée importante du Rassemblement national a été promue par Macron lui-même. En empruntant à Marine Le Pen ses thèmes, ses mots et ses logiques, Macron produisait ainsi sa candidate idéale pour être réélue. Au passage cependant les idées racistes se sont enracinées, la division des classes populaires selon une ligne de couleur s’est accrue et le sentiment d’impuissance a également augmenté. On ne change pas un système qui gagne et il faut donc s’attendre à de nouvelles éruptions du gouvernement présentant l’immigration, les réfugiés, les musulmans de France, les non-Blancs ou les quartiers populaires comme causes de tous les maux de la société française. La production puis la promotion du variant Zemmour par une partie de la classe dominante sous la houlette du milliardaire Bolloré annonce même une intensification de cette logique du bouc émissaire. Celui-ci ne peut espérer en effet progresser que dans une logique de surenchère raciste que Macron comme Le Pen seront contraint de prendre en compte. Le résultat des présidentielles ancre ainsi un processus, non pas de droitisation du champ politique qui est déjà une réalité avérée, mais d’extrême-droitisation de celui-ci c’est-à-dire de fascisation.

Plus grave encore les scores de Le Pen et de Zemmour ne peuvent avoir qu’un effet d’encouragement aux passages à l’acte racistes. Des citoyens se sentiront autorisés à agressé oralement et/ou physiquement celles et ceux qui ont été mis en scène [et qui continuerons d’être mis en scène] comme menaçant l’identité française, ses service publics, sa laïcité, etc. Des policiers se sentiront tout autant encouragés à poursuivre et intensifier les contrôles au faciès, les violences et les atteintes à la dignité. Comment pourrait-il en être autrement alors même qu’une enquête électorale CEVIPOP annonçait 60 % d’intention de vote Le Pen pour le second tour 2022 chez les policiers et les militaires ?

Dans ce contexte particulier le FUIQP s’adresse en premier lieu aux sans-papiers, aux immigrés et à leurs familles, aux héritiers français de l’immigration et aux musulmans réels ou supposés pour rappeler que la soumission et le silence ne mettent jamais fin à l’oppression et à l’injustice. La lutte, la solidarité, la visibilité et l’organisation des premiers concernés ont toujours été incontournables pour enrayer les processus de transformation d’un groupe social en bouc émissaire et en ennemi de l’intérieur. Nous invitons donc toutes celles et ceux actuellement inorganisées à nous rejoindre pour avancer vers la constitution d’une réelle force des immigrations et des quartiers populaires qui fait aujourd’hui tant défaut.

Nous nous adressons ensuite à celles et ceux d’entre nous déjà organisés dans des associations ou collectifs politiques pour rappeler que l’éparpillement et les querelles intestines pour le leadership font partie de notre problème. Nous ne sommes pas contraints d’être unis sur tout pour agir ensemble. Il suffit pour cela d’être unis sur la volonté de mettre fin à la logique enclenchée en 2004 avec la loi sur l’interdiction du foulard conduisant à la banalisation de l’islamophobie dans le champ politique, dans le paysage médiatique comme dans la société globale. Nous avons besoin d’une maison commune, bâtie par toutes et tous, pouvant être en débat contradictoires sur de nombreuses questions mais capable de s’unir pour agir sur le cœur de notre oppression. 

Nous nous adressons enfin à l’ensemble des militantes et militants, associations et organisations, pour rappeler qu’une des conditions de possibilité du contexte actuel a été l’absence d’opposition massive à la logique islamophobe, aux violences policières, aux discriminations racistes, etc. Nous avons besoin d’un antiracisme conséquent ne transigeant pas d’un iota face aux nouveaux visages du racisme.

« S’unir pour ne pas subir » est la seule voie solide si nous voulons résister aujourd’hui et éviter une séquence fasciste en 2027.

Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP)

28/04/2022