Il y a 40 ans la marche pour l’Égalité et contre le Racisme suscitait une mobilisation inédite et un vent d’espoir dans l’ensemble de l’hexagone. Cependant les attentes investies dans la marche par les dizaines de milliers de participants se heurtèrent rapidement aux petites et grandes manœuvres de récupération, d’instrumentalisation et de neutralisation d’un État qui s’engage dans la séquence politique du néolibéralisme débouchant sur les processus de paupérisation, de précarisation, d’ethnicisation du débat public et destructeurs des services publics. La création et la promotion étatique de SOS Racisme conduisant à une folklorisation de l’antiracisme ne fut ainsi que la partie la plus visible d’un vaste processus idéologique visant à accompagner une régression sociale et politique sans précédent dont Emmanuel Macron n’est que le dernier continuateur et avatar. Quarante ans après, les petites et grandes manœuvres d’instrumentalisation de la mémoire de cette marche sont annoncées au plus haut sommet d’un État qui a pour caractéristique d’avoir une crise de légitimité inédite et grandissante.
Refusons de brader notre dignité
L’élan commémoratif sur le quarantième anniversaire de la Marche est surprenant, pour ne pas dire suspect. Pourquoi un événement oublié par la plupart des Français fait-il son retour dans l’agenda politique ?
Bien sûr la marche pour l’Égalité et contre le Racisme mérite d’être commémorée du fait de sa signification politique, de son message, de ses revendications et des espoirs et attentes qu’elle a suscités. Cependant la différence absolue entre commémoration et instrumentalisation politique de celle-ci doit être posée nettement si nous ne voulons pas une nouvelle fois être des objets de l’Histoire écrite par les dominants et non des sujets de notre propre Histoire.
Non la marche pour l’Égalité ne peut pas se commémorer avec un gouvernement qui se prépare à faire voter une loi Darmanin sur l’immigration réactionnaire sur toute la ligne, banalise les violences policières, paupérise les classes et quartiers populaires tout en votant des crédits de guerre faramineux, poursuit une politique néocoloniale en Afrique, criminalise le mouvement social, crée les conditions d’une explosion du racisme en général et de l’islamophobie en particulier en récupérant dans son logiciel des termes et logiques argumentaires jusque là portés par l’extrême-droite, etc.
Un tel gouvernement ne peut vouloir commémorer la marche pour l’Égalité qu’à des fins de communication relevant au mieux du marketing et au pire de l’instrumentalisation de la mémoire.
Quel bilan peuvent en effet tirer de ces quatre décennies les acteurs et militants héritiers des luttes des immigrations et des quartiers populaires ?
Quarante ans plus tard, l’enjeu essentiel d’une République de la diversité et de l’Égalité reste central. Faire avancer l’Égalité en se mobilisant contre les inégalités sociales et les discriminations racistes reste un enjeu politique majeur.
Aujourd’hui en France, des personnalités médiatiques et politiques de premier plan, jusqu’au plus haut niveau de l’État, attisent les haines et les peurs, agitant le spectre du » séparatisme » et l’épouvantail du » grand remplacement » qui menaceraient la République française » une et indivisible ».
La stigmatisation principalement des populations des quartiers populaires: Arabes, Noirs, musulmans, Asiatiques, Rroms…, demeure un sport politique national. Il est relayé par certains médias à longueur de journée. Ces populations sont vues comme de potentielles ennemies de l’intérieur, d’autant plus lorsqu’elles tentent de résister à ces discriminations.
Du Karcher de Sarkozy à la « lutte contre le séparatisme » de Macron, la logique de construction des immigrations et des quartiers populaires en « boucs émissaires » puis en « ennemis de l’intérieur n’a fait que s’accentuer.
Force est de constater également que depuis quarante ans la situation socio-économique des quartiers populaires n’a cessé de s’aggraver, que les discriminations se sont généralisées, que le racisme s’est décomplexé au point d’engager une offensive sans précédent qui submerge les médias.
Après ces quatre décennies d’une telle descente aux enfers, rien ne peut justifier la moindre collaboration avec un tel gouvernement et/ou ses institutions pour commémorer un évènement aussi important de notre histoire collective. Ni l’accès à des subventions pour l’occasion, ni la pseudo-reconnaissance publique de notre histoire, de certaines personnalités héritières de l’immigration ou de certaines associations, ne sauraient masquer que participer à une telle mascarade commémorative ne relève pas de la tactique et du compromis mais signifie la compromission et le bradage de notre dignité.
De quelle commémoration avons-nous besoin ?
Nous ne voulons pas d’une commémoration consistant à refuser de faire le lien entre hier et aujourd’hui c’est-à-dire à continuer à ne pas parler du quotidien des habitants des quartiers populaires qui s’est considérablement dégradé. A ne pas parler depuis des années d’un manque de politique publique criante.
Nous ne voulons pas d’une commémoration qui est silencieuse sur le racisme d’Etat, les violences policières systémiques, la précarisation de nos chibanis et chibanya, la chasse aux sans-papiers, la guerre à l’antiracisme politique et à ses militants, etc.
Nous ne voulons pas d’une commémoration qui construit la marche pour l’Égalité et contre le Racisme comme début de l’histoire en la coupant de ses racines de luttes antérieures. Loin d’être le début de l’histoire, la marche pour l’Égalité est un moment d’une histoire de luttes longues ayant des racines dans le mouvement de lutte pour les indépendances, dans le mouvement des travailleurs arabes, dans les multiples combats des travailleurs immigrés pour l’égalité des droits, etc. Ce sont ces luttes pour l’égalité et la dignité qui ont fécondé la marche pour l’Égalité et contre le Racisme qui, à son tour, a créé les conditions des luttes ultérieures.
La commémoration dont nous avons besoin est celle qui nous réinscrit dans cette filiation militante pour pouvoir la poursuivre. Cette histoire est un leg des générations militantes antérieures et un trésor précieux que nous ne pouvons pas brader pour un plat de lentille, pour l’accès à une reconnaissance factice et éphémère ou pour l’octroi de quelques postes subalternes de supplétifs.
Parce que nous restons attachés au message de la marche pour l’Égalité et contre le Racisme nous ne pouvons pas la commémorer avec un gouvernement et des institutions qui approfondissent les inégalités et produisent le terreau du racisme.
Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires
11/07/2023